صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

labourer la terre, soit qu'il le jugeât incapable de toute autre chose, soit pour s'ôter de devant les yeux un objet si désagréable.

Il fut vendu dans la suite à un philosophe nommé Xanthus. Je ne finirais point si je voulais rapporter tous les traits d'esprit et de vivacité dont ses paroles et sa conduite étaient pleines. Un jour que son maître avait dessein de régaler quelques amis, il lui commanda d'acheter ce qu'il y aurait de meilleur. Il n'acheta que des langues, qu'il fit accommoder à toutes les sauces. Entrée, premier et second service, entremets, tout ne fut que langues. « Ne t'avais-je pas commandé, lui dit Xanthus tout en colère, de prendre au marché tout ce qu'il y aurait de meilleur ? Et qu'y a-t-il de meilleur que la langue? reprit Ésope. C'est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l'organe de la vérité et de la raison. Par elle on bâtit les villes et on les police, on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées; on s'acquitte du premier de tous les devoirs, qui est de louer les dieux. Hé bien (dit Xanthus, qui prétendait l'attraper) achète-moi demain ce qu'il y a de pire: ces mêmes personnes viendront chez moi, et je veux diversifier. Le lendemain Ésope ne fit servir que le même mets, disant que la langue est la pire chose qui soit au monde. C'est la mère de tous les débats, la nourrice des procès, la source des divisions et des guerres. Elle est l'organe de l'erreur, du mensonge, de la calomnie, des blasphèmes 1.»

Ésope eut bien de la peine à obtenir sa liberté. Un

Ces faits sont tirés de la vie d'Ésope par le moine Planude, laquelle paraît être une compilation

des données les plus incertaines et les moins croyables. — L.

Phædr. 1. 1,

fab. 2.

des premiers usages qu'il en fit, fut d'aller chez Crésus, qui, sur sa grande réputation, desirait depuis longtemps de le voir. Sa taille et sa mine rabattirent beaucoup d'abord de l'opinion qu'il en avait conçue. Mais la beauté de son esprit éclata bientôt à travers ces voiles et ces dehors grossiers qui la couvraient; et ce prince comprit, comme le disait Esope dans une autre occasion, qu'il ne fallait pas considérer la forme du vase, mais la liqueur qui y est enfermée.

Il fit plusieurs voyages dans la Grèce, soit pour son plaisir, soit pour les affaires de Crésus. Passant par Athènes, peu de temps après que Pisistrate y eut usurpé la puissance souveraine et aboli l'état populaire, et voyant que les Athéniens portaient ce nouveau joug fort impatiemment, il leur raconta la fable des grenouilles qui demandèrent un roi à Jupiter.

avons,

On doute que les fables d'Ésope, telles que nous les soient toutes de lui, du moins pour l'expression. On en attribue une grande partie à Planude', qui a écrit sa vie, et qui vivait dans le quatorzième siècle.

Esope est regardé comme l'auteur et l'inventeur de cette manière simple et naturelle d'instruire par des apologues et des fictions; et c'est ainsi qu'en parle

Phèdre :

Esopus auctor quam materiam repperit,
Hanc ego polivi versibus senariis.

Mais 2, à proprement parler, la gloire de cette invention

Les fables d'Ésope, quel qu'en soit l'auteur, sont beaucoup plus anciennes que Planude, puisqu'on les a trouvées dans des manuscrits d'une époque antérieure à ce moine.

-L.

2 « Illæ quoque fabulæ, quæ, etiamsi originem non ab Æsopo acceperunt (nam videtur earum primus auctor Hesiodus), nomine tamen Æsopi maximè celebrantur, ducere animos solent, præcipuè rusticorum

est due au poëte Hésiode invention peu importante,
ce semble, et d'un mérite fort médiocre, et qui a
pourtant été très-estimée et mise en usage par les plus
sublimes philosophes et les plus habiles politiques. Pla- In
ton nous apprend que Socrate, peu de moments avant
sa mort, mit en vers quelques fables d'Ésope; et Platon
lui-même recommande avec beaucoup de soin aux
nourrices d'en faire apprendre de bonne heure aux en-
fants, pour leur former les mœurs et leur inspirer
l'amour de la sagesse.

Il faut que les fables, pour être adoptées généralement par toutes les nations comme nous voyons qu'elles l'ont été, cachent un grand fonds de vérité sous cet air simple et négligé qui fait leur caractère. En effet, le Créateur, voulant instruire l'homme par le spectacle même de la nature, a répandu dans les animaux diverses inclinations et propriétés pour être comme autant de tableaux raccourcis des différents devoirs dont il doit s'acquitter, et des bonnes ou mauvaises qualités qu'il doit rechercher ou fuir. Ainsi il a peint une image sensible de la douceur et de l'innocence dans l'agneau, de la fidélité et de l'amitié dans le chien: au contraire, de la violence, de la rapacité, de la cruauté dans le loup, dans le lion, dans le tigre, et ainsi du reste; et il a voulu faire une leçon et un reproche secret à l'homme, s'il était insensible pour lui-même à des qualités qu'il ne peut s'empêcher d'estimer ou d'abhorrer dans les animaux mêmes.

C'est un langage muet que toutes les nations en

et imperitorum; qui et simpliciùs

quæ

ficta sunt audiunt, et, capti voluptate, facilè iis quibus delectan

tur consentiunt. » (QUINTIL. lib. 5,
cap. 11.)

Phædone,

p. 60.

Lib. 2, de

Rep. p. 378.

tendent; c'est un sentiment gravé dans la nature, que chacun porte en soi-même. Esope est le premier, entre les écrivains profanes, qui l'a saisi, qui l'a developpé, qui en a fait d'heureuses applications, et qui a rendu les hommes attentifs à cette sorte d'instruction naive, qui est à la portée de toutes les conditions et de tous les âges. Il est le premier qui, pour donner du corps aux vertus, aux vices, aux devoirs, aux maximes de la société, a imagine, par un ingenieux artifice et par un innocent mensonge, de les revêtir d'images gracieuses empruntées de la nature, en donnant de la voix aux bêtes, et du sentiment aux plantes, aux arbres, et à toutes les choses inanimées.

Les fables d'Esope sont dénuées de tout ornement et de toute parure, mais pleines de sens, et à la portée des plus petits enfants, pour qui elles étaient composées. Celles de Phèdre sont un peu plus relevées et plus étendues, mais cependant d'une simplicité et d'une élégance qui ressemble beaucoup à l'atticisme dans le genre simple, c'est-à-dire, à ce qu'il y avait de plus fin et de plus délicat chez les Grecs. M. de la Fontaine, qui a bien senti que notre langue n'etait point susceptible de cette simplicité ni de cette élégance, a égayé ses fables par un tour naïf et original qui lui est particulier, et dont personne n'a pu approcher.

Il est malaisé de comprendre pourquoi Sénèque '

I « Non audeo te usque eò producere, ut fabellas quoque et Æsopeos logos, INTENTATUM ROMANIS INGENIIS OPUS, solitâ tibi venustate connectas.» (SENEC. de Consol. ad Polyb. cap. 27.)

Ce sont ces paroles de Sénèque, et le silence de tous les auteurs latins

sur la personne et les écrits de Phedre, qui ont fait croire à plusieurs auteurs que les fables attribuées à ce poëte avaient été supposées dans des temps assez modernes. Si Phedre a vécu au temps de Tibère, comme on le dit, il est bien singulier que Séneque ne l'ait point connu. — L.

pose en fait que, de son temps, les Romains n'avaient point encore essayé leur plume sur cette sorte de composition. Les fables de Phèdre lui étaient-elles inconnues?

Numinis

Plutarque nous apprend la manière dont Ésope mourut. Il était allé à Delphes, chargé d'or et d'argent, vindicta, avec ordre d'offrir, au nom de Crésus, un grand sacri- P. 556-557 fice à Apollon, et de donner à chaque habitant une somme considérable 1. Une querelle qui s'eleva entre lui et ceux de Delphes, fut cause qu'après avoir fait le sacrifice il renvoya à Crésus l'argent qu'il avait reçu de lui, prétendant que ceux à qui ce prince l'avait destiné s'en étaient rendus indignes. Les habitants de Delphes le firent condamner comme coupable de sacrilége, et le précipitèrent du haut d'un rocher. Le dieu, irrité de cette action, les châtia par la peste et par la famine de sorte que, pour faire cesser ces maux, ils firent signifier dans toutes les assemblées de la Grèce que, si quelqu'un venait exiger, pour l'honneur d'Ésope, la vengeance de sa mort, ils lui donneraient satisfaction.

A la troisième génération il se présenta un homme de Herod. 1. 2, Samos, qui n'avait d'autre relation à Ésope, sinon qu'il cap. 134. était issu des personnes qui avaient acheté ce fabuliste. Les Delphiens donnèrent contentement à cet homme, et se délivrèrent ainsi des maladies et de la disette qui les tourmentaient.

Les Athéniens, justes estimateurs de la vraie gloire, érigèrent à ce savant et spirituel esclave une statue magnifique, pour faire savoir, dit Phèdre, que la carrière de l'honneur était ouverte indifféremment à tous

[blocks in formation]

Lib. 2.

« السابقةمتابعة »