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et l'on ne rappellera l'histoire de son règne que pour rappeler le souvenir des maux qu'il a faits aux hommes. Ainsi son orgueil, dit l'esprit de Dieu, sera monté jusqu'au ciel, sa tête aura touché dans les nues, ses succès auront égalé 5 ses désirs, et tout cet amas de gloire ne sera plus à la fin qu'un monceau de boue, qui ne laissera après lui que l'opprobre et l'infection.

IV. Les Grands.

Qu'aviez-vous fait à Dieu pour être ainsi préférés au reste des hommes et à tant d'infortunés surtout qui ne se nourrissent 10 que d'un pain de larmes et d'amertume? Ne sont-ils pas comme vous l'ouvrage de ses mains et rachetés du même prix ? N'êtes-vous pas sortis de la même boue? N'êtes-vous pas peut-être chargés de plus de crimes? Le sang dont vous êtes issus, quoique plus illustre aux yeux des hommes, ne 15 coule-t-il pas de la même source empoisonnée qui a infecté tout le genre humain? Vous avez reçu de la nature un nom plus glorieux; mais en avez-vous reçu une âme d'une autre espèce et destinée à un autre royaume éternel que celle des hommes les plus vulgaires? Qu'avez-vous au-dessus d'eux 20 devant celui qui ne connaît de titres et de distinctions dans ses créatures que les dons de sa grâce? Cependant Dieu, leur père comme le vôtre, les livre au travail, à la peine, à la misère et à l'affliction, et il ne réserve pour vous que la joie, le repos, l'éclat et l'opulence; ils naissent pour souffrir, pour 25 porter le poids du jour et de la chaleur, pour fournir de leurs peines et de leurs sueurs à vos plaisirs et à vos profusions; pour traîner, si j'ose parler ainsi, comme de vils animaux, le char de votre grandeur et de votre indolence. Cette distance énorme que Dieu laisse entre eux et vous a-t-elle jamais été 30 seulement l'objet de vos réflexions, loin de l'être de votre reconnaissance? Vous vous êtes trouvés, en naissant, en

possession de tous ces avantages, et, sans remonter au souverain dispensateur des choses humaines, vous avez cru qu'ils vous étaient dus, parce que vous en aviez toujours joui. Hélas! vous exigez de vos créatures une reconnaissance 5 si vive, si marquée, si soutenue, un assujettissement si déclaré de ceux qui vous sont redevables de quelques faveurs; ils ne sauraient sans crime oublier un instant ce qu'ils vous doivent; vos bienfaits vous donnent sur eux un droit qui vous les assujettit pour toujours. Mesurez là-dessus ce que vous devez Jo au Seigneur, bienfaiteur de vos pères et de toute votre race. Quoi! vos faveurs vous font des esclaves, et les bienfaits de Dieu ne lui feraient que des ingrats et des rebelles!

Ainsi, mes frères, plus vous avez reçu de lui, plus il attend de vous. Mais, hélas! cette loi de reconnaissance que tout ce qui 15 vous environne vous annonce, et qui devrait être, pour ainsi dire, écrite sur les portes et sur les murs de vos palais, sur vos terres et sur vos titres, sur l'éclat de vos dignités et de vos vêtements, n'est point même écrite dans votre cœur ! Dieu reprendra ses propres dons, mes frères, puisque, loin de lui en rendre la gloire 20 qui lui est due, vous les tournez contre lui-même: ils ne passeront point à votre postérité; il transportera cette gloire à une race plus fidèle: vos descendants expieront peut-être dans la peine et dans la calamité le crime de votre ingratitude, et les débris de votre élévation seront comme un monument éternel où le doigt de Dieu écrira jusqu'à la fin l'usage injuste que vous en avez fait.

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V. La véritable Origine de la Royauté et ses Devoirs.

Mais, sire, un grand, un prince n'est pas né pour lui seul; il se doit à ses sujets; les peuples, en l'élevant, lui ont confié la puissance et l'autorité, et se sont réservé en échange ses soins, son temps, sa vigilance: ce n'est pas une idole qu'ils 30 ont voulu se faire pour l'adorer; c'est un surveillant qu'ils ont

mis à leur tête pour les protéger et pour les défendre: ce

n'est pas de ces divinités inutiles qui ont des yeux et ne voient point, une langue et ne parlent point, des mains et n'agissent point: ce sont de ces dieux qui les précèdent, comme parle l'Ecriture, pour les conduire et les défendre: ce sont les 5 peuples qui, par l'ordre de Dieu, les ont faits tout ce qu'ils sont; c'est à eux à n'être ce qu'ils sont que pour les peuples. Oui, sire, c'est le choix de la nation qui mit d'abord le sceptre entre les mains de vos ancêtres; c'est elle qui les éleva sur le bouclier militaire, et les proclama souverains: le royaume 10 devint ensuite l'héritage de leurs successeurs; mais ils le durent originairement au consentement libre des sujets: leur naissance seule les mit ensuite en possession du trône; mais ce furent les suffrages publics qui attachèrent d'abord ce droit et cette prérogative à leur naissance: en un mot, comme la 15 première source de leur autorité vient de nous, les rois n'en doivent faire usage que pour nous. Les flatteurs, sire, vous rediront sans cesse que vous êtes le maître, et que vous n'êtes comptable à personne de vos actions. Il est vrai que personne n'est en droit de vous en demander compte; mais vous 20 le devez à vous-même, et, si je l'ose dire, vous le devez à la France, qui vous attend, et à toute l'Europe, qui vous regarde : vous êtes le maître de vos sujets; mais vous n'en aurez que le titre, si vous n'en avez pas les vertus: tout vous est permis; mais cette licence est l'écueil de l'autorité, loin d'en être le 25 privilège : vous pouvez négliger les soins de la royauté; mais,

comme ces rois fainéants si déshonorés dans nos histoires, vous n'aurez plus qu'un vain nom de roi dès que vous n'en remplirez pas les fonctions augustes.

Quel serait donc ce fantôme de piété qui ferait une vertu 30 aux grands et au souverain de craindre et d'éviter la dissipa

tion des soins publics; de ne vaquer qu'à des pratiques religieuses comme des hommes privés et qui n'ont à répondre que d'eux-mêmes; de se renfermer au milieu d'un petit

nombre de confidents de leurs pieuses illusions, et de fuir presque la vue du reste de la terre? Sire, un prince établi pour gouverner les hommes doit connaître les hommes: le choix des sujets est la première source du bonheur public; 5 et, pour les choisir, il faut les connaître. Nul n'est à sa place dans un Etat où le prince ne juge pas par lui-même : le mérite est négligé, parce qu'il est, ou trop modeste pour s'empresser, ou trop noble pour devoir son élévation à des sollicitations et à des bassesses: l'intrigue supplante les plus grands talents; Io des hommes souples et bornés s'élèvent aux premières places, et les meilleurs sujets demeurent inutiles.

VI. L'Adulation.

Les fléaux des guerres et des stérilités sont des fléaux passagers, et des temps plus heureux ramènent bientôt la paix et l'abondance; les peuples en sont affligés, mais la sagesse du 15 gouvernement leur laisse espérer des ressources. Le fléau de l'adulation ne permet plus d'en attendre; c'est une calamité pour l'Etat, qui en promet toujours de nouvelles : l'oppression des peuples, déguisée au souverain, ne leur annonce que des charges plus onéreuses; les gémissements les plus touchants 20 que forme la misère publique passent bientôt pour des murmures; les remontrances les plus justes et les plus respectueuses, l'adulation les travestit en une témérité punissable, et l'impossibilité d'obéir n'a plus d'autre nom que la rébellion et la mauvaise volonté qui refuse. Que le Seigneur, disait 25 autrefois un saint roi, confonde ces langues trompeuses et ces lèvres fausses qui cherchent à nous perdre, parce qu'elles ne s'étudient qu'à nous plaire !'

Sire, défiez-vous de ceux qui, pour autoriser les profusions. immenses des rois, leur grossissent sans cesse l'opulence de 30 leurs peuples. Vous succédez à une monarchie florissante, il est vrai, mais que les pertes passées ont accablée : le zèle de

vos sujets est inépuisable, mais ne mesurez pas là-dessus les droits que vous avez sur eux leurs forces ne répondront de longtemps à leur zèle, les nécessités de l'Etat les ont épuisées; laissez-les respirer de leur accablement : vous augmenterez 5 vos ressources en augmentant leur tendresse. Ecoutez les conseils des sages et des vieillards auxquels votre enfance est confiée, et qui présidèrent aux conseils de votre auguste bisaïeul; et souvenez-vous de ce jeune roi de Juda dont je vous ai déjà cité l'exemple, qui, pour avoir préféré les avis 10 d'une jeunesse inconsidérée à la sagesse et à la maturité de ceux aux conseils desquels Salomon son père était redevable de la gloire et de la prospérité de son règne, et qui lui conseillaient d'affermir les commencements du sien par le soulagement de ses peuples, vit un nouveau royaume se former des 15 débris de celui de Juda; et, pour avoir voulu exiger de ses sujets au-delà de ce qu'ils lui devaient, il perdit leur amour et leur fidélité qui lui était due. Les conseils agréables sont rarement des conseils utiles; et ce qui flatte les souverains fait d'ordinaire le malheur des sujets.

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VII. Les Rois peuvent se tromper.

Mais, sire, s'il n'est pas honteux aux princes d'être surpris, malheur inévitable à l'autorité suprême, il leur est glorieux d'avouer qu'ils ont pu l'être : rien n'est plus grand dans le souverain que de vouloir être détrompé, et d'avoir la force de convenir soi-même de sa méprise. Assuérus ne crut point

25 déroger à la majesté de l'empire en déclarant même par un édit public, que sa bonne foi avait été surprise par les artifices d'Aman. C'est un mauvais orgueil de croire qu'on ne peut avoir tort; c'est une faiblesse de n'oser reculer, quand on sent qu'on nous a fait faire une fausse démarche : les variations 30 qui nous ramènent au vrai affermissent l'autorité, loin de l'affaiblir ce n'est pas se démentir que de revenir de sa

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